L’héritage (in)égalitaire ? - ADD ASSOCIÉS
28 Avr 2020

L’héritage (in)égalitaire ?

L’héritage égalitaire est consacré en France, nous le savons tous, par le Code Civil de 1804. Pourtant un ouvrage vient de paraitre, au titre intriguant : Le genre du capital, sous-entendant alors qu’il y aurait une inégalité homme-femme dans l’accès au patrimoine. Par le biais de statistiques, monographies de familles et entretiens avec les professionnels du notariat et du droit, les deux auteures ont entrepris de lever le voile sur les pratiques ordinaires qui conduisent à défavoriser systématiquement les femmes en matière d’héritage. Une « comptabilité sexiste » distinguerait les biens structurants à protéger, alloués aux fils, des compensations le plus souvent réservées aux femmes. Hommes et femmes, affirment-elles, « ne détiennent pas le même pouvoir d’appropriation sur ce qu’ils et elles possèdent ».

Les deux auteures ont entrepris de lever le voile sur les pratiques ordinaires qui conduisent à défavoriser systématiquement les femmes en matière d’héritage.

Il est vrai que la différenciation sexuelle dans les mécanismes de transmission des patrimoines familiaux a historiquement longtemps prévalu. En tant que filles et sœurs, membres d’une lignée et à ce titre héritières, mais aussi en tant que mères, génitrices d’une descendance, les femmes au 17e siècle – c’est-à-dire avant que le Code Civil ne consacre une égalité de droit – pouvaient, assez aisément, ne pas être traitées à l’égal des hommes ; et cela, qu’il s’agisse de la transmission de biens, de la constitution de la dot, ou de la redistribution en cas de veuvage. Sauf exception, les épouses ne sont pas maîtresses de leurs biens, qu’elles ne peuvent vendre ou engager sans l’autorisation de leur mari. Dans certaines coutumes, elles ne peuvent pas même disposer de leurs biens propres par testament sans cette autorisation. La grande majorité des femmes (à l’exception des veuves et de rares célibataires) est placée sous l’autorité d’un homme, père ou mari ; elles n’ont, pour ainsi dire, aucune maîtrise de leur patrimoine.

Plongeons un instant dans l’histoire de la France moderne pour nous rappeler la série de coutumes qui expliquent cette place longtemps allouée à la femme ! Dans le midi de la France, par exemple, les familles, quel que soit leur niveau socio-économique, pratiquent en matière successorale le système de l’héritier universel. Le but clairement affiché est de ne pas morceler le patrimoine familial, essentiellement foncier, pour le transmettre entier, ou mieux encore agrandi, à la génération suivante. Les héritières ne sont désignées qu’en l’absence de frères, et doivent donc en général se contenter d’une dot. Cette politique de préservation porte un nom ; il s’agit « du système à maison », tel qu’il est défini par les anthropologues. Ce qui prime est la volonté de transmettre la « maison » (matérielle comme immatérielle) à un seul successeur. Pour éviter le morcellement, les familles pratiquent ainsi l’héritage préciputaire, qui permet de favoriser un enfant (parfois deux), au détriment des autres. A l’inverse de ce système à maison : celui dit « à parentèle » qui dessine l’image d’une société rurale profondément attachée à des valeurs d’égalité. Ici, les familles partagent à parts égales leurs biens entre tous les enfants, aînés et cadets, filles et garçons. Non seulement les parts de chacun doivent être de même valeur, mais mieux encore : on tire au sort les différents lots (à moins que les héritiers ne divisent eux-mêmes les parcelles de la succession) ! C’est ici le principe de parenté qui est mis en avant, sans avantager une lignée sur une autre. Enfin, troisième type de système successoral : celui dit « à lignage » qui privilégie clairement la parenté masculine au détriment de la lignée féminine. Sang, biens et nom ne se transmettent que par les hommes. Dans la France du XVIIe siècle, c’est en Normandie que s’exprime le plus fortement ce modèle, d’inspiration fortement nobiliaire.

Nous aurions aisément pensé ces usages, morts ; placés sur l’étagère des pratiques d’hier dans le Musée des coutumes obsolètes. Et pourtant, non… ! L’hétérogénéité des pratiques familiales dessine assurément, dans les usages d’hier certes mais aussi d’aujourd’hui, un paysage infiniment varié où la place des femmes dans les systèmes successoraux garde de larges parts d’ombre et, cela, à travers le globe. En Tunisie, encore aujourd’hui, la loi du pays, basée sur des préceptes du Coran, favorise les hommes, qui héritent quasi-systématiquement du double de ce qui est légué aux femmes. Au Maroc, la règle successorale du ta'sib oblige les filles d'une même fratrie à partager les biens avec des membres de la famille masculins éloignés, si elles sont seules héritières. Les exemples sont légions… Des textes internationaux - telle que la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes - ont même récemment tenté de rappeler qu’hommes et femmes devaient bénéficier des mêmes droits en matière d'héritage. Pourtant, en 2012, selon l'OCDE, 86 pays sur les 121 étudiés persistaient encore à pratiquer des lois de succession discriminatoires. Curieuses permanences que celles-ci…

Le travail du généalogiste se pose, ainsi, ici, comme support, soutien, pour ces endroits du monde encore sujets à lourdes traditions.

Il y a donc bien un « genre » au capital. Et, si certes les femmes, ne sont plus totalement - c’est-à-dire systématiquement - exclues de l’accès à la propriété ni des processus de transmission, elles restent très majoritairement, à une place secondaire. Changements difficiles à instituer : y a t-il, en effet, plus lourd que le poids des mœurs et des coutumes ? Le travail du généalogiste se pose, ainsi, ici, comme support, soutien, pour ces endroits du monde encore sujets à lourdes traditions. Assurément, les tableaux généalogiques clairs et organisés fixant, sans ombre aucune, qui héritiers directs, qui collatéraux, qui réservataires, qui adultérins, sont la plus belle arme pour faire valoir le droit de ces dames. Les autres inégalités, plus sourdes, sont affaires de pratiques ordinaires et prendront sans doute encore un peu plus de temps…