
Les héritages problématiques (1)
Après la guerre, une chape de plomb s’est abattue, cadenassant la parole et obturant l’histoire de l’Europe pour de longues années : l’histoire avec un grand H évidemment, mais aussi les histoires familiales. Pour la génération du nazisme et la suivante, explorer le passé est en effet demeuré longtemps une tâche impossible. Ce n’est que récemment que l'Allemagne s’est ouverte à cet exercice et, dans ce contexte, certains de ses enfants font face à un bien curieux défi : celui de faire face à l’héritage d’aïeux tragiquement célèbres. Des héritages pour le moins problématiques, non liquidés encore intégralement…
En 2015, s’est en effet ouvert le procès d’Oskar Groning, le « comptable » d’Auschwitz, chargé de s’emparer des effets personnels des déportés dès leur arrivée au camp, puis de récupérer l’argent et l’envoyer à Berlin. La même année, un film voit le jour : réalisé par David Evans, « mon héritage nazi » retrace les devenirs des descendants des dignitaires nazis qui portent le poids de leurs patrimoines comme chemin ardu de vie, triste destiné. Rappelons en effet que lors du procès de Nuremberg, tous les dignitaires qui y étaient jugés avaient plaidé, effrontément, non coupable. Douleur, responsabilité, incessante volonté de réparation ou, au contraire, loyauté, obstination : leurs petits-enfants naviguent comme ils le peuvent, au sein de ces successions infernales.
Dans le cadre de tels héritages - indigestes et lourds, indépassables - délégation et loyauté agissent souvent sur un mode inconscient, assujettissant encore davantage de pauvres marionnettes à l’allégeance souvent mécanique. Dans un ouvrage de 2017 « Enfants de nazis », Tania Crasnianski s’est penchée sur cette confusion psychique. Gudrun Himmler, fille de l’homme clé de la Gestapo, et Edda Göring, fille du Reichsmarschall, sont ainsi restées dans le culte du père, sympathisantes du national-socialisme. Le fils de Rudolf Hess, dauphin de Hitler et troisième homme du Reich, Wolf Rüdiger Hess, né en 1937 prend également fait et cause pour son père incarcéré à vie, niant toute sa vie la solution finale. Les enfants du commandant d'Auschwitz, Rudolf Höss, qui ont grandi à proximité de la mort, n’y dérogent pas non plus. Leur père sera pendu, en 1947, devant le camp d'Auschwitz, mais ceci n’empêchera pas le futur mannequin, Brigitte Höss, troisième des cinq enfants, à passer sa vie à nier puis minorer le rôle de son père.
Douleur, responsabilité, incessante volonté de réparation ou, au contraire, loyauté, obstination : les petits-enfants naviguent comme ils le peuvent au sein de ces successions infernales.
D’autres, à l’inverse, font preuve d’une authentique exigence morale pour transcender le passé criminel de leurs aînés. En 2006 parait, par exemple, dans la presse israélienne un article annonçant que le petit-fils du neveu d’Hitler étudie dans une Yeshiva à Jérusalem. La nouvelle interpelle : existe-t-il d’autres descendants de hauts dignitaires nazis vivant en Israël ou convertis au judaïsme ? Ce phénomène ne semble, en effet, pas si marginal. La petite-fille de Magda Goebbels, celle de Heinrich Himmler, ont toutes deux épousé des juifs ; Matthias Goering, petit neveu du bras droit d'Adolf Hitler, vit aujourd’hui en Israël, expurgeant encore et toujours cette mémoire indigeste. Le fils unique de Josef Mengele, médecin à Auschwitz, deviendra, quant à lui, avocat à Fribourg ; et s’il rendra visite, à 33 ans, à son père caché dans la banlieue de São Paulo, il le méprise pour autant foncièrement et décidera, dans les années 1980, de changer de nom, pour la liberté de ses propres enfants !
On comprend assurément que ces débris transgénérationnels deviennent comme des restes toxiques occupant bruyamment la psyché familiale. Heureusement, la généalogie permet dans ce climat de confusion, de dissimulation et de douleur, d’amener comme une clarté, une transparence dans l’ascendance : libre ensuite à qui le souhaite d’en rompre la continuité. Gageure d’autant plus importante que l’entrelacs des héritages, psychique et mémoriel évidemment, mais aussi matériel n’a pas fini de diviser…
On comprend assurément que ces débris transgénérationnels deviennent comme des restes toxiques occupant bruyamment la psyché familiale.
Les descendants du dernier empereur de Prusse, Guillaume II, réclament, par exemple, aujourd’hui, une partie de leur héritage. La fortune de la famille, colossale, est en effet d’abord épargnée dans le sillage de la révolution de 1918 ; la nouvelle République va même jusqu’à expédier à l’ancien empereur, aux Pays-Bas, l’intégralité de son argenterie et lui versera à partir de 1924 une rente mensuelle de 50 000 marks, après avoir restitué 97 000 hectares de terres et plusieurs châteaux à la famille. Mais les choses changent à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les Hohenzollern, considérés comme criminels de guerre, sont expropriés. Ils perdent leurs châteaux et quantité d’œuvres d’art. Le prince Georg Friedrich von Preussen, chef de la maison Hohenzollern, veut désormais réparation. Il a d’abord réclamé le droit de loger au château de Cecilienhof à Potsdam (célèbre pour avoir abrité la conférence ayant réuni Staline, Churchill et Truman à la fin de la guerre), revendiqué la propriété de milliers d’œuvres d’art pour la plupart exposées dans les musées berlinois, et réclamait enfin plus d’un million d’euros de compensations pour les biens expropriés. Face à cela, l’Etat fédéral, la ville de Berlin et le Land de Brandebourg refusent de transiger : ils invoquent la loi sur l’indemnisation des victimes du communisme pour justifier leur refus de dédommager les Hohenzollern. La loi prévoit en effet que toute personne ayant contribué à l’avènement du nazisme ou du communisme, ainsi que ses héritiers sont déchus de leurs droits.
Pendant plusieurs années, c’est dans la plus grande discrétion que ces négociations ont été menées. Ceci, jusqu’à la fin de non-recevoir adressée très officiellement par écrit par l’Etat fédéral à la famille Hohenzollern, à l’été 2019. Depuis, un conflit d’historiens s’est greffé sur la bataille d’avocats. Les débats sont loin d’être clos…
Clarification de descendances, localisation d’héritiers problématiques, oppositions en restitution : la généalogie ne peut assurément ici qu’œuvrer à plus de justice.
S’il n’y a ici nul besoin d’identifier les héritiers actuels des propriétaires d’œuvres spoliées qui demeureraient dans l’attente d’une restitution – comme le fait déjà le département Provenance d’ADD Associés, dont le travail est axé sur l’identification des héritiers d’œuvres d’art spoliées dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale (rappelons ici, quand même, la dernière occurrence : le travail de ADD a en effet permis de rendre, en 2018, le tableau « La Vallée de la Stour » de John Constable aux héritiers de John et Anna Jaffé, dont les biens avaient été spoliés par le Commissariat aux questions juives en 1942 !) – il n’en demeure pas moins que cette page de notre histoire collective ne pourra être fermée qu’une fois que tous ces conflits auront été vidés. Clarification de descendances, localisation d’héritiers problématiques, oppositions en restitution : la généalogie ne peut assurément ici qu’œuvrer à plus de justice.
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Le 08 Mar 2023
🙋♀️ Chez ADD Associés, l'égalité professionnelle est au cœur de notre politique de ressources humaines. ✅ Des mot… https://t.co/K5f5SYjd8e
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Le 07 Mar 2023
Demain 8 mars n'est pas une journée comme les autres, c'est la Journée internationale des femmes. Un message >> https://t.co/Bdxdpzmgkj
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Le 01 Mar 2023
Des nouvelles de nos bureaux ! Aujourd'hui, direction #Bordeaux où ADD Associés conforte son ancrage territorial ! https://t.co/JOY0uF5axh