Antoine Delabre devant la Alte Nationalgalerie, 18/10/21 - ADD ASSOCIÉS
22 Oct 2021

Antoine Delabre devant la Alte Nationalgalerie, 18/10/21

En sa qualité de représentant des ayants-droit d'Armand Dorville, Antoine Delabre, associé-gérant et co-fondateur de ADD Associés, s'exprimait lors de la restitution à la famille, lundi 18 octobre 2021, du tableau "Une Place à la Roche-Guyon" de Camille Pissarro par le musée berlinois Alte Nationalgalerie. Celui-ci, comme beaucoup d'autres, avait été confisqué puis vendu aux enchères par le régime de Vichy en 1942, après la mort d'Armand Dorville.

Voici le discours prononcé par Antoine Delabre.

Monsieur le Président de la Fondation du patrimoine culturel prussien, Monsieur le Directeur de l’Alte Nationalgalerie,

Vous le savez, avocat, collectionneur, Armand Dorville était passionnément épris de culture, d’art, de justice.

C’est pourquoi l’occasion qui nous réunit aujourd’hui honore si justement sa mémoire.

Restituer une œuvre - quelle que soit sa valeur - à une famille spoliée, c’est avant tout honorer le devoir de mémoire.

C’est refuser de voir le passé nié, refoulé, tempéré.

C’est honorer le souvenir de ceux qui ont subi les injustices, la haine, la terreur.

Restituer une œuvre, c’est mettre en lumière les persécutions, la destruction des identités, la destruction des croyances et celle des biens ;

C’est rappeler ce sentiment d’être dépossédé de tout. De soi-même, surtout.

C’est illustrer de quelle manière l’État allemand, l’État français, ont méthodiquement et implacablement orchestré l’aryanisation de leurs populations. En voulant effacer toute trace d’une partie d’entre elles.

Mais une restitution, c’est aussi pour les vivants. Ceux qui sont présents. Les descendants.

Les héritiers d’Armand Dorville en témoignent : les tragédies familiales de la guerre ne sont parfois transmises que par le mutisme de ceux qui y ont survécu.

Comme si le silence pouvait faire oublier, comme un moyen de survie ultime.

Mais une restitution est aussi un moment salutaire.

Elle permet de se relier à un aïeul, de retisser le fil rouge d’une histoire familiale, d’ériger des ponts généalogiques entre les générations.

Evidemment, une restitution est aussi et surtout une reconnaissance.

Elle atteste que l’impunité a toujours une date d’expiration.

Une restitution, enfin, c’est un acte éthique.

Pour un musée, c’est refuser de voir dans ses collections des œuvres à l’origine douteuse ;

C’est permettre aux peuples du présent d’essayer de corriger les erreurs du passé. D’en « assumer la responsabilité morale », pour reprendre les mots de votre ministre de la Culture, Madame Monika Grütters.

Restituer, c’est donc refuser que les collections de nos musées européens soient constituées d’œuvres entachées de souffrance, d’injustice ou de suprématisme.

Pour promettre un futur où la culture ne pourra se faire sans éthique.

En actant la spoliation dont a fait l’objet la collection d’Armand Dorville, en rachetant le tableau à ses héritiers, l’Alte Nationalgalerie devient ainsi le premier musée à restituer une œuvre de ses propres collections, aux héritiers d’Armand Dorville.

Le musée des Beaux-Arts de Berne – qui a restitué trois œuvres en 2020 - était en effet considéré comme dépositaire des œuvres, aux origines plus que douteuses, de la collection Gurlitt.

Par cet acte, vous honorez le principe de règlement « juste et équitable » promu par les Accords de Washington et vous adoptez une position éthique claire quant à la provenance de vos collections ;

Dans le prolongement des restitutions faites par votre ministre de la Culture, Madame Monica Grütters, en janvier 2020 ; Dans le prolongement des restitutions faites par plusieurs collectionneurs privés en France et aux Etats-Unis ; Et avant les restitutions à venir, de musées européens et américains.

Enfin, Vous donnez à la famille Dorville la reconnaissance qu’elle attend depuis beaucoup trop longtemps de la part des musées français.

Votre approche est exemplaire. Soyez-en chaleureusement remerciés.

Et c’est pour toutes ces raisons que les héritiers d’Armand Dorville se réjouissent de voir ce tableau de Pissarro conservé dans les collections du musée ;

Il demeurera accessible au plus grand nombre et pourra ainsi témoigner, non seulement de l’histoire de la peinture, mais aussi de notre histoire européenne.

Au nom de chacun des héritiers, ADD & Associés réitère ses chaleureux remerciements à l’Alte Nationalgalerie et à la Fondation du patrimoine culturel prussien, ainsi qu’à l’ensemble de leurs collaboratrices et collaborateurs.

Antoine Delabre, le lundi 18 octobre 2021